Avec le retour de la LGV, les cimentiers passent à l'offensive sur le Lot-et-Garonne
Les besoins en matière première du Lot-et-Garonne sont largement couverts aujourd'hui, puisque les dernières gravières ouvertes tournent au ralenti. Mais les annonces concernant la LGV Bordeaux-Toulouse excitent de nouvelles convoitises, de même que les projets du Grand Bordeaux.
Voici qui va aider à améliorer l'attrait touristique du territoire...
La gravière, un projet qui sert des intérêts privés au détriment de l'intérêt public. Pour le vendeur de la terre, c'est souvent le jackpot, pour l'exploitant, une mine à creuser sans trop de coût pendant des années – le coût du granulat dépend essentiellement de la distance sur laquelle il est transporté, ce qui en dit beaucoup sur sa valeur et son prix de revient. Pour les riverains, ce n'est que nuisances. Pour le territoire, c'est un coût important, qu'il s'agisse de l'impact sur la voirie, sur le tourisme, sur les activités à proximité et sur la valeur du foncier bâti et non bâti aux alentours.
Le 25 mai dernier, le Conseil d'Etat valide la LGV Bordeaux-Toulouse, malgré l'avis négatif rendu par la commission d'enquête publique. Le 2 juin, les maires d'Aquitaine reçoivent un questionnaire leur demandant de donner leur point de vue sur l'approvisionnement en granulat du territoire, envoyé par l'UNICEM (Union Nationale des Industries de Carrières et Matériaux de construction).
Il n'y a ici ni hasard ni coïncidence d'un hypothétique calendrier. Les cimentiers anticipent, le processus de mise en exploitation d'une gravière est long, et le Lot-et-Garonne, « bien » situé le long de la ligne avec des prix du foncier peu élevés, une cible de choix. Il n'y a qu'à voir les nombreuses implantations qui y sont déjà actives ou ont terminé leur carrière – c'est le cas de le dire.
Aujourd'hui, c'est Gaujac qui est en première ligne, avec l'extension annoncée de la gravière jusqu'ici située uniquement sur Monpouillan et exploitée par Lafarge. Demain, toutes les communes rurales du département pourraient être impactées.
Economiquement, une perte sèche pour le territoire
Au fil de milliers, voire de millions d'années, les fleuves ont déposé leurs alluvions sur leurs rives, créant les sols les plus fertiles pour la culture. Malheureusement, ces sols à la valeur inestimable sont aussi ceux qui attirent la convoitise des extracteurs. La vallée de la Garonne en est l'illustration flagrante. Or l'implantation d'une gravière rend irrémédiablement impropre aux cultures le sol sur laquelle elle est exploitée.
Sol qui perd toute valeur, mais devient une charge pour la collectivité à l'issue de l'exploitation. La gravière creuse le sol et installe des « merlons », sortes de murs de terre dont la hauteur peut atteindre trois à quatre mètres. Au fil du lavage des graves, le trou se remplit d'eau, lorsqu'il y en a suffisamment, ou reste à sec, et sa profondeur peut dépasser les dix mètres. L'impact sur le paysage est très visible. Même si certains cimentiers font des efforts pour limiter les nuisances de leurs installations, l'extraction génère poussière et bruit, détruisant l'attrait touristique dans un rayon de plusieurs kilomètres.
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La gravière de Fauillet en 2010
La surexploitation des nappes phréatiques (7 m3 de l'heure pour une gravière de taille moyenne) ajoute au stress hydrique souvent rencontré sur le département par les activités agricoles.
Gravière en fin d'exploitation à proximité d'Aiguillon
La grave n'est évidemment pas utilisée sur place. En cas d'exploitation intensive, ce qui serait le cas avec la LGV, la noria de camions venant chercher les granulats est incessante, avec des poids à l'essieu élevés, d'où un impact fort sur l'état des routes – dont l'entretien est à la charge de l'agglo et du département selon les cas.
Le lac de Beaupuy, image d'Epinal de la gravière
Les cinq hectares du lac de Beaupuy ont été aménagés en base d'activités de plein air. Marche, course, activités nautiques, pêche font de cette ancienne gravière un lieu très apprécié des habitants de Val de Garonne.
Le lac de Beaupuy est une ancienne gravière
Voilà qui est très rassurant, n'est-ce pas ? On aurait presque envie d'adopter une gravière devant un tableau aussi idyllique. Du reste, les exploitants mettent l'accent sur l'aménagement des sites qu'ils prospectent pour convaincre municipalités et riverains.
Malheureusement, toutes les gravières ne sont pas destinées à devenir des bases de loisirs, surtout si elles se trouvent à proximité d'équipements existants ou ont une superficie trop importante pour que l'entretien et l'aménagement ne soient pas ruineux. Une autre destination « de choix » pour ces installations est l'enfouissement des ordures, comme à Bon Encontre où le dossier a mis en effervescence la vie locale en 2008 et 2009. Les besoins dans ce domaine sont importants en Lot-et-Garonne.
La plupart du temps, les gravières sont simplement laissées à l'abandon, devenant des décharges sauvages et une lourde charge pour les communes. Celles-ci doivent en effet assurer un minimum de sécurité sur les lieux, voire envisager à leurs frais leur réhabilitation, un investissement d'autant plus lourd que la superficie de la gravière est étendue.
Ile Souillagon à Gaujac, ancienne carrière devenue un dépotoir
malgré la réhabilitation prévue à l'origine
Loin d'être la poule aux œufs d'or espérée
Le fonctionnement d'une gravière est totalement automatisé. Il n'y a pas création d'emplois, mais destruction de ceux-ci. On considère en effet qu'une exploitation agricole fait travailler une personne par dix hectares, soit huit personnes pour 80 ha, alors qu'une gravière de la même étendue n'a qu'un seul, au mieux deux employés.
Côté fiscal, pour limiter l'extraction nouvelle de matériaux et encourager leur recyclage, l'Etat a créé une taxe qui s'applique (entre autres) aux granulats : la TGAP ou Taxe Générale sur les Activités Polluantes, d'un montant de 0,2 euros/tonne pour 2015. Mais son produit n'est pas reversé localement.
Localement, les recettes ne sont pas à la hauteur des nuisances subies : lors de l'achat des terres vouées à la destruction, ce sont les droits de mutation classiques (5,80%) qui sont prélevés par l'Etat ; comme toute entreprise en France, la gravière est ensuite soumise à la contribution économique territoriale (CET). La faible valeur du granulat – l'essentiel de son coût se situe au niveau du transport – ne génère pas de valeur ajoutée importante, donc de cotisation élevée.
Pendant les 10 à 30 ans de vie active des gravières, les exploitations agricoles environnantes sont impactées négativement. Les terres de la gravière sont irrémédiablement perdues pour l'agriculture – essayez de faire pousser quelque chose à huit mètres de profondeur... Même réhabilitées, elles ont un coût d'entretien important.
Le foncier, surtout bâti, perd d'autant plus de valeur qu'il se situe à proximité de la gravière en activité. Il ne la retrouvera que si la réhabilitation est de type base de loisirs ou parc naturel. Si c'est l'option centre d'enfouissement de déchets qui est retenue, ce sera encore pire.
Les élus en première ligne
Il est rare que les élus locaux aient un vrai pouvoir sur l'économie de leur territoire, mais au niveau des gravières c'est le cas, car leur implantation dépend à 99% des orientations du SCOT (Schéma de COhérence Territoriale) et du PLU (Plan Local d'Urbanisme). Le PLU définit l'usage qui peut être fait du patrimoine foncier d'une commune, le SCOT fixe les orientations au niveau de la communauté de communes.
Le SCOT de Val de Garonne a été approuvé par délibération du 21 février 2014. Il était à l'origine très protecteur pour les terres agricoles, notamment face à la pression des exploitants de gravières. Leur syndicat, l'UNICEM, l'a donc attaqué devant le tribunal administratif. Après négociations avec le syndicat mixte en charge du SCOT de Val de Garonne, le contentieux a été réglé en 2015...
Un grand nombre de communes de Val de Garonne sont en cours d'élaboration de leur PLU, celles qui en ont déjà un se sont en général protégées contre l'extraction de granulat, mais elles sont encore peu nombreuses. Les plus petites communes reculent devant cette opération qui nécessite de gros investissements. C'est une porte ouverte à l'arrivée massive d'exploitants attirés par le marché que représente la LGV Bordeaux-Toulouse. Il est urgent d'agir !